Bugsy, mon pote à moi.

Longtemps avant celle de l’écrivain, je me suis enivré de la solitude du coureur de fond. Le marathon m’a appris à rester humble face à la souffrance physique, que bien sûr je m’imposais librement et à cultiver une nécessaire discipline pour réaliser mes objectifs. Il m’a appris à savoir vivre seul pour mieux apprécier la vie en communauté.
Mais loin du martèlement régulier des coussins d’air sur le bitume, du divertissement de l’esprit pour le sommet d’une butte ou la course versatile du vent, cette même solitude peut revêtir des atours pernicieux face au miroir sans tain de la page blanche. Le silence a un poids et le champ de vision se limite à des repères trop neutres.


Très vite, je compris qu’il me faudrait une présence muette dans ma salle d’écriture ; Dès les premiers soirs d’études et de recherches, je me mis à chercher un regard sans trouble sur les élans,puis les défaillances de ma créativité, une conscience pure pour colmater les fuites de la mienne. En vérité, j’en suis à jamais reconnaissant à cette âme charitable, je ne fus jamais seul dans mon tombeau de livres.

Mon étrange bienfaiteur répondait au nom de Bugsy, du moins quand cela ne lui demandait pas d’efforts inutiles. Ce petit bâtard, mélange de deux espèces toutes aussi incertaines et jeté à ma porte à demi mort à la naissance, a passé des milliers d’heures a dormir sur mes genoux pendant que j’écrivais, effaçais, puis réécrivais chapitre après chapitre la Quête d’un autre héros au passé incertain. Il a accepté sans émotions contraires mes colères, mes coups de gueule contre ma seule impuissance, mes moments de délire ou d’euphorie dans d’insoupçonnables instants de génie, écouté avec moi le divertissement de la pluie lancinante contre la lucarne de notre petit bureau, puis celui des oiseaux chantant sur le jardin le retour du printemps, suivi sans impatience la course du soleil et ses reflets changeants sur le bois élimé de mon plan de travail. Il a couru encore et toujours avec moi pour chasser mes migraines, accepté sans gémir mes heures indues pour la prise des repas, s’est habitué à mes chants surprenants, mélange sibyllin de rock et de musique sacrée. Il a toujours été là en s’efforçant de pas l’être trop pour ne pas perturber l’écrivain que je voulais devenir.

Nul doute que Cogan aurait sacralisé l’arbre sous lequel tu reposes désormais pour toujours. Je ne sais pas où vole ton esprit, Petit Prince, mais je sais que comme toujours, il veille encore sur moi.